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Saturday, June 27, 2020

Pourquoi faut-il enseigner la défaite dans le football ? - Foot Mercato

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« On a peur de la défaite. C’est certain. Ce qui signifie que l’on va tout faire pour la rencontrer le moins possible, car ses effets nous sont devenus intolérables. Cela porte à conséquence et peut même conduire à la paralysie totale : on ne veut pas tenter car on ne veut pas risquer de perdre, donc de souffrir et d’être malheureux. » Dans son livre “L’éloge de la défaite”, le journaliste et écrivain Laurent-David Samama résume bien à quel point la défaite est devenue taboue dans notre société actuelle. Et le football ne déroge pas à la règle. Au contraire, il a quasiment poussé le vice à l’extrême.

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De nos jours, un entraîneur ne peut plus enchaîner trois/quatre défaites consécutives sans être menacé par sa direction. Cette marge d’erreur demeure même encore plus mince s’il s’agit d’un entraîneur d’un grand club. En ce sens, le monde du foot peut être encore plus cruel que le monde du travail en général, car quelques revers consécutifs peuvent ruiner des années de bons services et conduire à un licenciement. Ce qui va à l’encontre, par exemple, d’un des slogans des entrepreneurs à succès de la Silicon Valley : “échoue souvent, échoue tôt, échoue à chaque fois.”

Comment l’évolution de notre société a changé notre rapport à la défaite

Si la défaite est devenue à ce point insupportable dans le football, c’est parce qu’il s’est adapté à l’évolution de notre société, tournée de plus en plus vers l’image comme nous l’explique Laurent-David Samama : « même si on sait que l’on peut perdre et que l’on est tous amené à perdre un jour ou l’autre, on essaye de fuir à tout prix la défaite. Dans cette société, où l’on est constamment noté, comparé et mesuré, la défaite est une sorte de drame car elle nous renvoie à notre incompétence. »

Sans que l’on s’en rende vraiment compte, les médias, les publicitaires et les agences de communication ont créé un “marketing de la victoire” et ont façonné notre vision du « winner » qui peut biaiser notre perception des champions, que l’on peut croire invincibles ou dont on minimise les défaites. Parmi les joueurs régulièrement cités comme étant les meilleurs de l’Histoire (Pelé, Zidane, Maradona, Messi, Cristiano Ronaldo), tous ont connu des défaites cuisantes sans que l’on puisse remettre en cause leur grandeur, car celle-ci s’exprime au-delà de simples trophées, victoires ou défaites.

« Pour moi, il faut séparer les générations. Ceux qui ont grandi dans les années 70 et qui ont connu les Pays-Bas de Johan Cruyff, les “poteaux carrés” des Verts en 1976, le France-Allemagne de 1982, avaient intégré qu’il fallait savoir perdre avant de gagner. Mais depuis, le monde a changé et les mentalités avec. Aujourd’hui, on met trop en avant les victoires mais pas assez le processus qu’il y a derrière. Le football est un sport de cycles et on a tendance à l’oublier », nous rappelle Laurent-David Samama.

Les défaites fondatrices

Dans la société actuelle, certaines défaites peuvent être comparables à une petite mort. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des athlètes passer par les différentes étapes du deuil après une défaite ou une blessure. « Après une défaite douloureuse, on passe souvent par une phase de reconstruction similaire à un deuil post mortem avant de remonter la pente. La grande différence dans le sport, c’est que l’on ne meurt jamais vraiment et qu’on l’a souvent la chance de pouvoir renaître rapidement », nous indique Laurent-David Samama.

Quand on s’attarde sur certaines victoires marquantes dans le football, on peut justement remarquer que de nombreux succès se sont bâtis après des défaites particulièrement douloureuses. Prenons le premier titre de champion d’Europe de la France en 1984, qui est survenu juste après le dramatique France-Allemagne de 1982, par exemple. On peut également citer le titre de champion de monde 1998 des Français survenu après le catastrophique France-Bulgarie de 1993, ou celui de 2018 qui a suivi leur défaite en finale de l’Euro 2016 contre le Portugal. Le Bayern Munich s’est aussi adjugé la Ligue des champions 2013 après avoir échoué en finale l’année précédente, dans son stade, tandis que l’Olympique de Marseille a aussi remporté la Ligue des champions en 1993 après avoir été battu en finale de la C1, deux ans auparavant.

On parle alors de défaites fondatrices, soit des défaites qui permettent de remobiliser un groupe et de décupler sa motivation pour vaincre. Voici justement l’une des vertus de la défaite, qui déclenche en nous une remise en question salvatrice. « La défaite m’intéresse particulièrement, car tout le monde perd dans la vie. Dès lors, la question est de savoir ce que l’on fait des déconvenues, faillites et autres drames personnels. Comment on les convertit en expérience. Car même s’il y a souvent de la souffrance dans l’affaire, il y a aussi du positif : échouer nous complexifie… », argumente Laurent-David Samama dans son livre, qui tient aussi à souligner l’importance du rapport au temps dans notre considération de la défaite :

« Dans le foot, les joueurs ou les équipes ont la chance de pouvoir se racheter rapidement. Ce qui n’est pas le cas en politique dont je parle aussi longuement dans mon livre. En politique, il est beaucoup plus difficile de se débarrasser d’une image de loser parce que les mandats sont longs et que les opportunités sont rares. » Ainsi, certaines défaites dans le foot peuvent être plus difficiles à encaisser et à accepter, comme celles en finale de Coupe du monde, car les occasions de se racheter sont aussi plus rares (compétition qui a lieu tous les 4 ans seulement) tandis que les carrières sont courtes. C’est peut-être pourquoi un joueur comme Stéphane Guivarc'h est toujours hanté par ses échecs en finale de la Coupe du monde 1998. Car il n’a jamais eu l’opportunité de se rattraper auprès du grand public et il n’en aura plus jamais l’occasion. Quand bien même, il a su rebondir dans sa vie après le foot.

Le paradoxe des victoires éclair

Alors que le football incite de plus en plus aux victoires court-termistes ou rapides, cette notion peut s’avérer paradoxalement contre-productive comme le détaille Laurent-David Samama, qui compare la victoire éclair d’Emmanuel Macron lors des présidentielles 2017 à la politique sportive qatarienne au PSG dans son livre : « quand il (Emmanuel Macron) se lance dans la campagne pour la présidentielle de 2017, il n’a pas d’autres options que de gagner. C’était “son projet”. Peu importait d’ailleurs la manière : il fallait gagner tout de suite. (...)

La situation semble analogue pour le club du PSG : la direction qatarienne y investit beaucoup d’argent, sans attendre, pour gagner tout de suite. Pas de temps à perdre, pas le temps de perdre, autrement dit : pas le temps pour la défaite romantique… Et l’on voit bien la limite de ce modèle : si tant est que gagner très rapidement soit possible, cela rend le triomphe insipide, encore plus évanescent qu’à l’accoutumée. À la fin, on aura certes gagné, mais la victoire ne reposera sur rien. Elle deviendra inqualifiable, et donc précaire. Et surtout, peu enthousiasmante. Comme si on l’avait expurgée de son essence… »

Ce qui est paradoxal pour le PSG, c’est que les échecs répétés en Ligue des champions, et particulièrement la remontada de 2017, peuvent contribuer à rendre la victoire espérée en C1 encore plus exaltante et belle car construite dans la douleur. Et comme le dit l’adage : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». De plus, dans un pays comme la France, on valorise aussi la « justice de l’effort » et c’est pourquoi certains perdants, authentiques et vaillants, attirent plus de tendresse et de sympathie que des vainqueurs, froids sans panache.

L’importance de se remettre en question même dans la victoire

Dans le football, il vaudrait certainement mieux se méfier davantage des victoires que des défaites, dans le sens où la victoire a un caractère hypnotique, qui fait fermer les yeux sur ce qui ne va pas. « Quand tu gagnes, tu tombes dans une certaine ivresse. Tout devient un peu flou, tu perds ta lucidité. Après une défaite, tous les détails te reviennent. Généralement, on sait pourquoi on a perdu mais pas forcément pourquoi on a gagné », avance Laurent-David Samama.

Dans le football, il est souvent vrai que quand on gagne, on étouffe les dissensions internes et on oublie les divergences, ou du moins, on les met de côté. Par contre, quand on perd, on cherche des coupables, les tensions rejaillissent et plus d’histoires sortent dans la presse. Il est donc important de savoir se remettre en question après des victoires afin d'éviter des terribles déconvenues à venir. Car si certaines défaites sont fondatrices, certaines victoires sont aussi destructrices.

Les exemples d’équipes n’ayant pas su se renouveler, et se reposant trop sur leurs succès passés, sont nombreuses. On peut notamment citer l’Espagne de Vicente Del Bosque en 2014 et 2016 ou l’équipe de France de Domenech en 2008 et 2010 (après sa Coupe du monde réussie en 2006). D’un côté, ce n’est pas évident de changer une équipe qui gagne car le grand public pourrait ne pas comprendre pas ce choix, et en cas d’échec, le coupable serait vite trouvé. Mais de l’autre, on ne se base que sur des succès passés et pas sur la vérité du moment. « Aller au combat » avec des joueurs qui ont déjà gagné est peut-être plus rassurant mais ça ne garantit rien.

« Ce qui est néfaste, ce n’est pas les gens qui n’ont pas connu la défaite, mais ceux qui n’ont jamais oublié qu’ils avaient gagné, ceux qui vous rabâchent continuellement leurs succès d’hier. Quand bien même ceux-ci commettent des erreurs, quand bien même ils font des choix contestables, ils vous rappellent sans cesse qu’ils ont été victorieux un jour ; leur trophée devient un élément de réponse face aux griefs qu’on peut leur adresser. La victoire d’hier fonctionne dès lors comme un bouclier. Elle permet d’éteindre la critique », appuie Laurent-David Samama dans "L’éloge de la défaite". Ce qui peut expliquer, en partie, pourquoi José Mourinho est moins victorieux ces dernières années ?

Apprendre à perdre dès le plus jeune âge

L’autre danger qui guette les « winners », surtout si ceux-là sont jeunes, c’est l’incapacité à gérer les défaites qui finiront par arriver. « Dans le très bon livre de Charles Pépin, Les vertus de l’échec, on trouve l’exemple des deux tennismen Rafael Nadal et Richard Gasquet : tous deux ont connu une évolution diamétralement opposée, pourrait-on dire. Nadal grâce à ses premiers échecs, sur lesquels il a capitalisé ; Gasquet à cause de ses victoires initiales, car les choses avaient sans doute trop bien démarré pour lui, sans le moindre nuage à l’horizon. Le premier a bien géré le succès quand il est arrivé, notamment parce qu’il avait connu de nombreuses défaites plus jeune, tandis que le second a très mal vécu son expérience soudaine des revers, jusqu’à mettre en péril sa propre carrière, parce qu’il n’avait connu que des victoires dans ses jeunes années. (...) Avoir été trop brillant, trop tôt, a ainsi desservi le Français », détaille Laurent-David Samama toujours dans son livre.

Ce passage peut faire penser aux fameux « crack» ou « pépites » du football, mis sous les feux des projecteurs très (trop) tôt en raison de leurs performances en jeunes et qui déclinent voire disparaissent après quelques années au plus haut niveau. Albert Camus disait d’ailleurs que « les jeunes ne savent pas que l’expérience est une défaite et qu’il faut tout perdre pour savoir un peu ». L’apprentissage de la défaite en école de football n’est donc pas une idée si saugrenue pour préparer les jeunes joueurs à la dure réalité du monde du travail et de la vie d'adulte.

Laurent-David Samama acquiesce l'idée : « je pense effectivement qu’il serait judicieux d’apprendre la défaire en école de foot, ne serait-ce que pour calmer les ardeurs des parents qui mettent de plus en plus de pression sur leurs enfants. Les parents imaginent tout de suite que leurs enfants seront des stars qui permettront de nourrir toute la famille. Du coup, ces gosses ont une grosse pression et vivent l’échec de manière très douloureuse et les conséquences pour eux sont terribles. Donc oui, il serait très utile de former les jeunes à la défaite et leur faire réaliser qu’ils ne seront pas tous des “Mbappé” mais que ce n’est pas grave. Les dommages psychologiques sont réels pour ces jeunes-là, qui risquent de sombrer plus tard en ayant la sensation d’avoir échoué dans la vie. »

Le plus important n’est ni la victoire, ni la défaite, c’est l’aventure !

Au final, il est important de retenir que la défaite fait partie de la vie et apprendre à l’accepter avec dignité est même un principe essentiel des fameuses valeurs du sport. « Elle (la défaite) muscle l’esprit, le prépare aux montagnes russes psychologiques générées par la perspective d’une grande compétition sportive. (...). D’une certaine manière, l’échec forme le caractère. Il crée du fighting spirit, de la grinta. Tout cela peut se résumer en une formule du grand Winston Churchill : “Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme », écrit Laurent-David Samama dans son livre.

De son côté, Juanma Lillo, désormais adjoint de Pep Guardiola à Manchester City, avait rappelé l’importance d’analyser le processus plutôt que les résultats lors d’une interview passionnante pour The Blizzard en 2011. Morceaux choisis : « L'analyse, les reportages dans les médias se font par le biais du succès. Donc ils ont toujours raison. Personne ne regarde le processus autrement qu'à travers le prisme d'un résultat. C'est très opportuniste. Et faux. (...) Ce qui vous enrichit, c’est le jeu, pas le résultat. Le résultat n’est qu’une donnée. L’épanouissement vient du processus. On débat sur le jeu pas sur les résultats. Les résultats ne sont pas discutables, ils sont. Achetez-vous le journal le lundi matin seulement pour consulter les résultats du week-end ? Payez-vous un billet pour un match uniquement pour vous rendre au stade à la dernière minute, voir le résultat final et partir ? Vous regardez les 90 minutes du match, ce qui est le processus. (...) Et vous ne pouvez pas valider un processus à travers les résultats. Les êtres humains tendent à vénérer ce qui s’est bien terminé, pas ce qui a été bien fait. »

Le but de cet article n’est pas d’encourager la défaite mais bien de favoriser son acceptation. De faire accepter que perdre est possible dans le sport comme dans la vie. Parfois par notre faute mais parfois aussi par des éléments que nous ne maîtrisons pas (malchance, qualité de l’adversaire, faits de jeu).« J’ai eu un entraîneur portugais qui me disait quasiment avant chaque match que le football, c’était simple. Il y a 3 résultats possibles. On peut gagner, perdre ou faire match nul. Nous, les joueurs, on ne peut faire qu’une seule chose : tout donner sur le terrain et avoir la conscience tranquille », racontait le consultant Kevin Diaz dans "l’After Foot" de RMC. Le plaisir et le sentiment de fierté ne résident pas uniquement dans la victoire, qui comme la défaite, est en réalité éphémère. Un perdant ne perd pas toute sa vie comme un gagnant ne gagne pas toute sa vie.

Le mot de la fin revient à Laurent-David Samama : « L’important c’est de vivre une aventure, car cela permet d’apprendre beaucoup sur soi. L’aventure, le chemin parcouru, sont finalement plus essentiels que la victoire ou la défaite. L’enjeu, c’est donc de savoir perdre, d’apprendre à perdre avec élégance. C’est perdre mieux. Perdre avec autorité. Perdre avec dignité. » À bon entendeur...




June 28, 2020 at 02:17AM
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